Pionnière dans le domaine, Laurence Méhaignerie est la fondatrice du 1er fonds d’investissement français à valoriser autant l’impact social que le potentiel financier. Convaincue que la finance a son rôle à jouer dans l’avenir de notre société, elle crée en 2008 Citizen Capital. Rencontre avec une investisseur engagée.

BONJOUR LAURENCE, POUVEZ-VOUS M’EN DIRE UN PEU PLUS SUR VOTRE PARCOURS ET SUR LES MOTIVATIONS QUI VOUS ONT POUSSÉS À DEVENIR INVESTISSEUR ?

En réalité je suis devenue investisseur par accident … J’ai d’abord été motivée par une démarche entrepreneuriale, qui a consisté à utiliser le levier de la finance pour agir au service d’enjeux de mobilité sociale et d’impact social positif.
La création de Citizen Capital a donc été avant tout une réponse à une forme de frustration dans mon action au sein de la sphère publique.
Dans les années 2005-2006, j’ai acquis la conviction que l’entreprise était un puissant levier de transformation au service d’une société meilleure. Même si l’entreprise connaît des limites (la régulation publique reste évidemment cruciale), elle est à la fois plus créative et plus agile mais elle poursuit également une vision stratégique !

POUR VOUS, QUELLES SONT LES OPPORTUNITÉS SUR LE MARCHÉ DU FINANCEMENT DANS LES JEUNES ENTREPRISES EN FRANCE ?

Aujourd’hui il y a beaucoup d’argent disponible pour les jeunes entreprises innovantes. Les opportunités n’ont sans doute jamais été aussi importantes en France, d’autant plus si l’on tient compte du fait que la taille de son marché est relativement limitée (et que de nombreuses entreprises se développeront avant tout sur le marché français avant de penser à l’international).

ET LES LIMITES ?

Les limites sont à la fois géographiques – il reste difficile de développer son innovation au niveau mondial et même européen- et liées au cycle de financement. Les opportunités de financement et peut-être même de géographie de développement – ne seront pas les mêmes dans 3 à 5 ans.
Il faut aussi reconnaître que les startups qui se développent et se financent sont largement dirigées par des hommes blancs, ultra-diplômés et issus de milieux aisés. Il y a également une limite sociale …

QUE PENSEZ-VOUS DE LA PLACE DES FEMMES DANS L’INVESTISSEMENT ?

Les femmes me semblent beaucoup plus présentes dans le monde de l’investissement qu’il y a quelques années. Et ceci est particulièrement vrai dans l’investissement à impact où vous trouverez plus de femmes (…), bien plus que dans l’investissement dit « mainstream », dont plusieurs associées fondatrices de fonds d’investissement à impact. En France, il n’y a « que » 16% de femmes dans les comités exécutifs des fonds d’investissement.

Côté entrepreneurs, nous rencontrons également nettement plus de femmes dirigeantes, en particulier de startups. Nous avons investit dans deux startups dirigées par des femmes ces deux dernières années. Mais la statistique en terme de deal flow est encore malheureusement assez rude …
En 2017, les entreprises créées par des femmes en France ont représenté 14,5% des levées de fonds, pour 7% uniquement des montants levés (142,5 M€) et un ticket moyen deux fois moins élevé que la moyenne du marché (1,5 M€ contre 3,3 M€).

PENSEZ-VOUS QU’IL Y AI UNE DIFFÉRENCE ET/OU UNE PLUS VALUE QUAND ON EST UNE FEMME DANS CE MILIEU ?

S’il y en une, je ne suis pas sûre qu’elle soit reconnue. La principale différence est simplement que des équipes mixtes sont plus efficaces à tous les niveaux. Il me semble aussi que les femmes ont une vision moins normée du métier d’investisseur et sont à même de prendre en compte un plus grand nombre de variables dans le processus d’analyse, en particulier les aspects les plus humains du métier. Une finesse qui peut aussi rendre plus complexe le processus de décision …

PLUS PERSONNELLEMENT, QUELLES SONT LES MOTIVATIONS QUI VOUS POUSSENT À INVESTIR DANS UNE STARTUP PLUTÔT QU’UNE AUTRE ?

D’abord la vision du/des dirigeant(s) et de l’équipe. Elle détermine notre thèse d’investissement, et en particulier notre thèse d’impact. Si on peut encore développer une entreprise avec une vision assez limitée, dans le monde de l’investissement à impact, la vision du dirigeant est au fondement de notre conviction que l’offre va pouvoir changer le monde, à son échelle, à 3 ou 5 ans. Nous cherchons d’abord à nous convaincre de l’impact potentiel de la solution. A quel besoin fondamental répond l’entreprise ? Ensuite, le potentiel de croissance, les barrières à l’entrée sont des éléments évidemment importants pour nous, sans lesquels l’impact futur nous semble fragile.

UN COUP DE COEUR RÉCENT À NOUS FAIRE PARTAGER ?

Plein ! Je suis très souvent impressionnée par les équipes que nous rencontrons. Mais si je devais choisir un coup de cœur, cela pourrait être le dernier investissement que nous avons réalisé dans une startup dirigée par un trio de femmes, www.deuxiemeavis.fr, plateforme qui vise à généraliser et démocratiser le 2ème avis médical par la mise à disposition d’une expertise médicale de haut niveau, à distance, pour des maladies lourdes ou complexes.